Recherche
Après des études en sociologie et en anthropologie à Paris puis à Bruxelles, mes recherches se sont progressivement orientées vers le numérique et les usages ludiques de l'espace urbain. Voici un résumé de mon parcours depuis mon mémoire de master.
Corps, technique, genre et identité
Intitulé « Construction de compétences techniques et construction de soi dans un centre bruxellois de formation non mixte », mon mémoire de Master est le résultat d'une recherche de terrain effectuée au sein d'une école proposant des formations non-mixtes en informatique à des femmes en recherche d'emploi.
Le propos de mon mémoire était d’interroger la coproduction d’une identité de genre et d’une identité construite dans la pratique, dans le contexte d’une technique pratiquée davantage par les hommes et souvent conçue comme relevant de leur compétence exclusive.
Dans le cadre de ce travail, j'ai mobilisé les travaux du groupe Matière à Penser, portant sur les « savoir-être » qui émergent avec les « savoir-faire », ainsi que les travaux sur l’apprentissage de Jean Lave et Etienne Wenger.
Au-delà d'un questionnement sur le genre et la construction de l'identité, ce travail a été pour moi une première ouverture vers une approche anthropologique de la matérialité des technologies.
Usages ludiques de la ville
A l'été 2016, la fin de mon master a coïncidé avec la sortie d'un jeu qui a fait largement parler de lui : Pokémon Go. Dans les médias, des événements insolites ont été rapportés : en Australie, par exemple, des joueurs et joueuses envahissent l’intérieur d’un commissariat pour récupérer des objets utiles à leur jeu. Ailleurs, des lieux de mémoire comme Auschwitz ou le musée de l'Holocauste à Washington deviennent le théâtre d'une chasse aux créatures virtuelles de la franchise japonaise. Enfin, quelques jours à peine après l'attentat de Nice, des foules denses se pressent dans les parcs pour capturer les 150 premiers monstres du jeu qui ont souvent peuplé leur enfance.
Comment un jeu peut-il faire voler en éclats les cadres qui déterminent habituellement nos comportements et nos usages de l'espace public et urbain ? Comment modifie-t-il nos mobilités et nos habitudes en ville ? Un tel dispositif peut-il affecter de manière profonde notre expérience de la ville ?
Pour répondre à ces questions, et à d'autres, j'ai tenté de mobiliser des concepts issus de travaux sur le jeu, sur la marche en ville et sur les cadres d'expériences qui façonnent et donnent sens à notre quotidien. En particulier, j'ai suivi les traces d'Yves Winkin et de Sonia Lavadihno pour envisager des situations où se manifeste une forme d' « enchantement » sur le mode d'une « suspension volontaire de l'incrédulité ».
Anthropologie et numérique
Utilisant une application smartphone, la technologie GPS et une connexion à internet, Pokémon Go est un jeu basé en localisation qui se présente sur le modèle d'une architecture client-serveur. Les données des joueurs et des joueuses sont transmises au serveur qui les utilise et les stocke.
Par sa dimension et la quantité d'informations qui se trouvent collectées, le jeu est rapidement critiqué pour la surveillance massive qu'il entraîne. De ce fait, si ma recherche s'est centrée particulièrement sur les cadres de l'expérience urbaine et ludique posés par le jeu, elle m'a également conduite à m'interroger sur la technique qui lui est sous-jacente et les enjeux qui en découlent (surveillance, confidentialité des données utilisateurs·trices).
En parallèle à ma recherche, j'ai ainsi commencé à me questionner et à me documenter sur les enjeux techniques, mais aussi anthropologiques, sociaux et politiques liées à l'architecture des systèmes informatiques : logiciel propriétaire versus logiciel libre, centralisation versus décentralisation, robotisation croissante, fracture numérique, stockage, sécurité et confidentialité des données, etc.
A l'heure où les usages numériques sont au cœur de nos vies quotidiennes - davantage encore depuis la pandémie de Covid-19 - les technologies qui les rendent possibles restent le plus souvent des boîtes noires, tant pour celles et ceux qui les utilisent que pour les chercheurs et les chercheuses qui les observent.
A côté de mes travaux d'anthropologue, j'ai ainsi progressivement commencé à me former à la technique elle-même, pour mieux comprendre mon expérience et mes usages du quotidien.
Arts et Sciences sociales
Au cours de mes années à l'ULB, j'ai enfin été marquée par des réflexions menées au sein de l'Atelier d'Hybridations Anthropologiques (AHA). Fondé en 2013 par des chercheuses de l'ULB, l'AHA est aujourd'hui un collectif où se côtoient chercheurs et chercheuses, artistes, réalisateurs et réalisatrices de cinéma et de documentaires.
En proposant le terme d' « hybridations », l'AHA se positionne comme un laboratoire d'expérimentations à l'interface entre les sciences sociales et les pratiques artistiques. Au-delà d'initier des rencontres et de susciter une réflexion autour de projets hybrides et créatifs, l'AHA soutient aussi des modes alternatifs et interdisciplinaires de production et de transmission du savoir socio-anthropologique, à l’université et au dehors.